Actualités / Cadre de vie - mardi 03 décembre 2013

Il était une fois la fée Electricité

DE L’AVEU des ministres Viette (Travaux publics) et Rouvier (Finances), “c’est la première grande entreprise qui soit tentée en France pour l’utilisation de la force motrice d’un cours d’eau et pour le transport de cette force motrice au moyen de l’électricité”. En clair, ce qui va être réalisé aux abords de Vaulx-en-Velin en cette année 1892, c’est du jamais vu. C’est en tout cas le plus ambitieux projet lyonnais de la fin du XIXe siècle.

La rencontre de l’ingénieur et du soyeux

L’idée un peu folle de creuser un canal et d’y installer une centrale électrique, on la doit à un ancien élève de La Martinière, Jean-François Raclet. Dès 1881, cet ingénieur couche sur papier une proposition et commence à frapper aux portes. Sa persévérance paye puisqu’il parvient à convaincre des financiers de la valeur de son projet.

En 1889, 36 industriels et banquiers unissent leurs ressources et créent le syndicat lyonnais des forces motrices du Rhône. Le grand soyeux, Joseph- Alphonse Henry en prend la présidence. A l’époque, l’industrie de la soie est en crise et la perspective de pou- voir motoriser les métiers à tisser est intéressante. Mais la presse se déchaîne. Le scandale de Panama, relatif au creusement du canal entre Atlantique et Pacifique, affole l’opinion publique. La participation du baron Reinach, l’un des protagonistes de l’affaire, dans le projet lyonnais, attise les critiques. Les habitants y voient pourtant un double avantage : pouvoir entrer dans l’ère du confort moderne et faire baisser les notes de gaz et de pétrole. Le projet se fera donc.

Rebâtir le château de Sissi

L’aventure humaine peut commencer. Et quelle aventure ! A partir de 1894, plus de 3000 hommes s’attellent, à la force de leurs bras, au creusement des 19 kilomètres du canal de Jonage. C’est douze fois plus d’ouvriers que pour la construction de la tour Eiffel. Une véritable petite cité de baraque- ments est aménagée pour les accueillir. Il faudra quatre ans et des lit- res de sueurs, de larmes et de sang à cette armée de pioches pour achever le travail colossal. Quatre ans à lutter contre les caprices du Rhône, à endu- rer les crues et les imprévues. Sur une chute d’eau artificielle de 12 mètres, 16 turbines sont installées. Le bâtiment qui les accueille a été pensé pour impressionner. C’est l’architecte Albert Tournaire, prix de Rome en 1888, qui est choisi pour en concevoir les plans. La façade néo-classique serait, dit-on, inspirée du château de Schönbrunn en Autriche. Celui de l’im- pératrice Sissi.
Dès sa mise en fonctionnement, la plus puissante usine hydroélectrique du monde fait sont œuvre : la fée Electricité se démocratise et l’agglomération entame sa deuxième révolu- tion industrielle. Le courant entre dans les entreprises, dans l’espace public (tramways et réverbères) et chez les particuliers. Des 73 foyers et ateliers abonnés en 1897, on passe à 1 000 en 1899. Les 4 000 sont atteints en 1900. L’avancée est si fulgurante que la cen- trale est à l’honneur lors de l’exposi- tion universelle de 1900 à Paris. Un poème de Jean Sarrazin à la gloire du canal est même publié : “Jonage, de ton sein, va chasser les ténèbres”. Et ainsi, la lumière fut.

M.K

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