Actualités / Cultures - vendredi 11 avril 2014

La Meute aboie fort aux 5C

Pour cette première représentation au centre Charlie-Chaplin, tout paraissait pourtant tranquille et convivial. Au bar, il était question des élections algériennes qui prêtent à rire et à pleurer à la fois. Puis on avance vers la salle Commaret où le public déambule ou se concentre par petits groupes, autour des guéridons. Une majorité de femmes : il y a match ce soir.

Tout en discutant, on remarque une paire de chaussures vernies noires et blanches, aux pieds d’un homme assez corpulent. Sans coup férir, deux personnages sont debout sur une estrade. Ces deux-là sont immobiles et droits. L’un a un sac poubelle sur la tête, l’autre porte un habit de moine. Ce sont les frères Karamazov. Des personnages complexes, travaillés par leur culpabilité, rongés par l’alcool. Ils sont bientôt rejoints par leur père vociférant et débraillé, à qui appartiennent les chaussures vernies, et un autre fils (entrée fracassante de Dimitri en scooter),

Les comédiens font irruption au milieu de la foule, debout, qu’ils fendent et invectivent durant une vingtaine de minutes. Quoi ? Ils se permettent d’injurier les femmes, ils se prosternent, ils éructent en direct ? C’est du théâtre ! Nous voilà embarqués pour une heure et demie de descente aux enfers, via les frères Karamazov et leur père.

Nicolas Mollard, metteur en scène et comédien, dirige le public vers la salle de spectacle. Le dispositif frontal qu’il a conçu révèle, particulièrement ce soir, l’ampleur de la salle principale du centre Charlie-Chaplin. Des gradins font face à la scène, délimitée au sol par du plastique transparent et taggé. On peut lire en très gros : “Je veux vous sauver de vous-même”. De part et d’autre des gradins, les frères Karamazov toisent ou reluquent des “greluches” à lunettes noires. Elles sont tour à tour écervelées, impotentes, amoureuses… Le père, riche et sans vergogne, se délecte dans la fange et crache sur les icônes. Parfois, on sent poindre la révolte des moujiks, on voit la folie gagner sur la raison, on pleure sur le sort de Katia, on voit les frères s’opposer, se déchirer, s’aimer. Tout le monde souffre, et nous avec, dans ce récit labyrinthique. Les comédiens passent du récit d’amour brûlant à la tragédie grotesque, imposant leur présence physique à tout bout de champ, quitte à s’infiltrer dans les têtes des spectateurs et jusque dans leurs rangs. Fiodor, Dimitri, Ivan, Alexei se démènent comme de beaux diables, incarnés par une jeune troupe qui n’a pas peur d'’affronter les monstres.

Les frères Karamazov, roman fiévreux de Fedor Dostoïevski, est le dernier qu’il ait publié au bout d’une vie de misère et de création. Adapter ces quelque 500 pages au théâtre conduit forcément à des excès. Le montage est à la hache, ou bien comme ciselé, à l’image du corps des acteurs, rendus palpables dans toute leur crudité. Texte, lumière et son font corps avec eux : le tout déchiqueté de préférence. Le texte est craché, les répliques jetées en pâture aux spectateurs, mais en même temps avec une générosité déconcertante. Qu’ils parlent d’atrocités, de Dieu ou du néant, des femmes, tous les combats sont de mots et de chair et ils passent par l’énergie communicative dégagée par les acteurs. Ceux-ci semblent moins à l’aise quand il s’agit d’amour que de guerre. Ils ne sont jamais meilleurs que lorsqu’ils se laissent emporter par la fièvre des Karamazov et de leur auteur. C’est le moindre reproche qu’on pourrait leur faire.

Françoise Kayser

Jeudi 10 avril et vendredi 11, à 20h30, au centre Charlie-Chaplin, place de la Nation.

www.centrecharliechaplin.com

 

Photo©André Lechevallier

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