Actualités / Société - mercredi 21 novembre 2012

Résistant, militant, déporté, Marcel Roche s’en est allé

Membre des Jeunesses communistes, Marcel roche distribue des tracts anti vichystes et inscrit sur les murs des slogans anti allemands quand il est arrêté le 19 août 1941 par la police de Pétain. Jugé par la section spéciale du tribu- nal militaire de Lyon, il est condamné à cinq ans de travaux forcés, à la dégradation civique et à la confiscation de ses biens présents et à venir. il est emprisonné à Montluc, avant d’être transféré à Saint-Etienne.

L’hiver 1941 est terrible, témoigne-t-il. Seul dans une cellule, Marcel grelotte de froid, de faim et de solitude. Mais il n’est pas tout seul. Déjà, la solidarité s’organise. Comme cette fois où Dutriévoz, affecté à la bibliothèque, lui glisse une sardine salée dans Robinson Crusoé. Les prisonniers se passent le mot par la fenêtre ou par le siphon des lavabos pour réclamer le statut de prisonnier politique. au bout de trois mois, ils sont regroupés à quatre par cellule. “Il y avait des profs et des instits. Pour tenir, ils nous faisaient travailler. On écrivait sur le moindre bout de papier. Grâce à eux, j’ai fait des études d’histoire.” La révolte gronde, les tentatives d’évasion se succèdent.

La répression ne tarde pas. Marcel et ses camarades sont conduits à la Guillotière, embarqués dans un train sans savoir où ils allaient. “Enchainés par deux, aux mains et aux pieds, on a gueulé La Marseillaise tout le long du voyage. Je me souviens qu’à Sète, on a longé la mer. Moi qui ne l’avais jamais vue, je garde ce bleu au fond des yeux.” avec 1200 autres prisonniers poli- tiques résistants, Marcel se retrouve à la centrale d’eysses dans le Lot-et- Garonne. Très vite, ils s’organisent, résistent à tout commandement, s’en- traînent physiquement et survivent grâce à la solidarité. “On organisait le partage et on partageait ce qu’il y a avait à partager. La cuillérée de soupe, la bouchée de pain, nous les prenions sur nos faibles rations pour les donner à l’autre, malade ou plus faible.” C’est là qu’il rencontre celui qui sera toujours son ami, son frère, Joseph Sanguedolce, qui deviendra le maire de Saint-Etienne.

A Eysses, un nouveau directeur, un milicien, prend le camp en main. Tant et si bien qu’il provoque la révolte : le 19 février 1944, les résistants de toutes nationalités se mutinent et déclarent la guerre à leurs geôliers. ils ferraillent toute une nuit. Les représailles ? 12 fusillés, 40 otages. et en mai, le départ pour Dachau, via Compiègne. “C’était le 18 juin. Je savais qu’on partait pour un camp, mais je ne pensais pas que ça puisse atteindre une telle horreur.” Marcel décrit le voyage où, à trois cents par wagon, ils ont roulé trois jours et trois nuits sans rien boire ni manger. Une fois encore, ils s’organisent comme ils l’ont toujours fait dans la résistance. S’asseoir, s’allonger, respirer par la lucarne à tour de rôle pour n’abandonner personne à la mort.

“Et c’est comme ça que nous sommes arrivés presque tous vivants. Dans le convoi suivant, on comptait 860 morts sur 1400 déportés”. Des chiffres précis inscrits à jamais dans leur souvenir. Comme ce numéro – 73 949 – tatoué pour toujours sur la peau de Marcel. a Dachau, porteurs du triangle rouge de résistant, ils continuent leur combat. a toujours croire en leurs idéaux, à se serrer les coudes, à participer à la solidarité, à collecter le moindre petit bout de pain pour sauver les plus faibles d’entre eux... a trimer douze heures par jour en limant des bouts de ferraille, toujours surveillés, brimés, affamés. et le soir, des appels interminables qui voient s’écrouler, pour ne plus se relever, des hommes terrassés par l’épuisement et le froid.

Jusqu’à ce qu’à l’approche des troupes alliées, les nazis veuillent évacuer le camp sur les routes de la mort. Ce qu’ils refuseront : “Pourquoi alors, ne nous ont-ils pas exterminés ? Parce que nous étions 10 000 et que cela aurait été une trop grande tuerie”, répond Joseph Sanguedolce. Les nazis étaient au pied du mur. Mis en quarantaine par l’armée américaine le 30 avril 1945, pour cause de typhus, ils récupèrent une radio allemande et lancent un appel à l’armée française. Laquelle, avec à sa tête le maréchal De-Lattre-de-Tassigny, entre dans le camp et organise le rapatriement des déportés.Marcel et Joseph seront conduits pour être soignés au lac de Constance avant de rentrer, pour l’un à Lyon, et pour l’autre à Saint-Etienne, en ambulance.

 2 juin 1945, chemin Feuillat. Marcel rentre chez lui. Plus il marche, plus il avance, plus il a peur. “Mes parents sont-ils encore là, comment vais-je les retrouver ?”, s’interroge-t-il. au pied de l’immeuble, il hésite encore, se lance jusqu’au troisième étage et sonne à la porte. “C’est toi ? T’es là ?” “C’est moi. J’suis là”. L’émotion fige le père et le fils sur le pallier. Le père qui attendait son retour depuis cette lettre, reçue fin mai 1945 : “Je n’ai pas grand chose à vous raconter. Ou trop de choses qui ne devraient pas exister dans un camp libéré. Nous couchons à deux par lit. Nous sommes quatre cents par baraques. Nous avons des puces, des punaises et des poux... Un nouveau cas de typhus s’est déclaré. On parle de désinfection, d’habits neufs... mais rien ne vient. Pour la nourriture, c’est un demi- litre de café sans sucre le matin, un litre de soupe à midi, un demi-litre de café avec trois cents grammes d’un pain infect et soixante gramme de beurre le soir. Croyez-vous que ce soit la nourriture de prisonniers qui ont énormément souffert de la faim ? Pour le rapatrie- ment, on ne sait rien. Il faut que nous quittions ce camp. Nous ne voulons plus voir les horreurs, nous voulons rentrer en France et non y laisser notre peau après l’avoir sauvée des tortures des nazis. Nous en avons marre de voir des souffrances autour de nous. Les “zèbres” en ont assez vu”.

A Lyon, il a fallu qu’il recommence à vivre. en gardant le silence sur l’indicible. “Parler à qui ? Parler de quoi ? De ce plus grand mal que des hommes ont pu faire à d’autres hommes ? C’était telle- ment inimaginable.” Puis, il y a sa vie avec Renée, elle aussi résistante. a qui il rend hommage dans son tout pre- mier poème, “Si aujourd’hui je suis ici”, lorsqu’il écrit, les nuits d’insomnie. Un jour, il en offre en cadeau à ses amies Monique et Odette de l’association Mémoires. L’association décide, en cadeau de retour, de publier les poèmes que Marcel roche, en homme discret, gardait ou offrait à titre personnel. Un recueil d’une vingtaine de textes tous emprunts de “nuits sans sommeil” et de “souvenirs toujours vivaces”. “Je n’ai vraiment commencé à écrire ces poèmes que vers l’âge de cinquante ans, commente-t-il, parce qu’en revenant je m’étais dit que je ne pourrais pas survivre au-delà”. autant de textes qu’il signe de l’anagramme Rameclocher. “Rame, explique-t-il, parce qu’il faut bien ramer pour faire avancer ses idées. Clocher, parce que c’est un point de mire qui reste toujours droit, comme tu dois l’être dans ton comportement”. autant de textes illustrés de dessins de René Baumer, ce peintre, sculpteur et écrivain vaudais,lui aussi résistant, emprisonné à Montluc puis déporté au camp de Bergen-Belsen.

 Dans son tout premier poème, Marcel écrit : “Si aujourd’hui je suis ici, Après tant d’années passées, Malgré tout un peu moins tourmenté, C’est un peu grâce à Arlette, Elle aussi a su m’aider, Et c’est elle qui m’a transformé”. Un hommage à sa fille, Arlette, son bonheur. a qui il a transmis ses valeurs, comme ils les transmettaient en témoignant, avec son ami Maurice Luya, déporté lui à Buchenwald, auprès des jeunes écoliers, collégiens et lycéens. Faisant œuvre de transmission : “Si aujourd’hui je suis ici, Aux jeunes je leur dis : Un peu partout sur notre planète, Les nazis redressent la tête. Souvenez-vous ce qu’ils ont fait, Car si un jour ils revenaient, C’est donc que l’on aurait trahi, Tous ceux qui par eux ont péri...”.

Edith Gatuing à partir des témoignages recueillis par Colette Berranger Photos C.Bourganel

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