Actualités / Société - mardi 02 juin 2015

L’exil pour fuir les massacres

ALORS QUE l’Union européenne évoque la mise en place de quotas de demandeurs d’asile (ce que refuse le président français François Hollande), et tandis que la pression djihadiste est de plus en plus effroyable au Proche- Orient et en Afrique, ici, à Vaulx-en-Velin, la vie nouvelle de réfugiés irakiens s’installe. L’exil est leur sort. Une fuite douloureuse qui oblige, comme le disent la plupart d’entre eux, “à tout recommencer à zéro”. Certains sont hébergés par Forum réfugiés, d’autres ont été accueillis par des membres de leur famille, déjà installés à Vaulx. Une présence qui les sauve du désespoir. D’autres encore, reçoivent le soutien de bénévoles de l’église vaudaise Saint-Thomas.

Perte des repères

Nimat, rencontré au Centre de formation des Etats-Unis, semble perdu. Il y a de quoi. A 68 ans, cet ingénieur en génie civil, à la retraite, n’a plus de repères. Il a tout abandonné, il y a trois mois, pour suivre, sur le chemin de l’exil, ses enfants Yasamin et Firas. Prêt de lui, Anwar. Cette Irakienne est âgée de 46 ans. Lorsqu’elle évoque son métier d’architecte, une lueur de fierté brille dans ses yeux. Arrivée depuis sept mois avec toute sa famille, elle suit des cours de français avec son fils de 20 ans, Youssif. Elle fait partie de ceux dont le niveau est plus avancé et, ainsi, peut venir en aide à ses compatriotes. Anwar raconte aussi l’histoire de Dania et Roni, un jeune couple ne parlant pas encore bien le français. L’un et l’autre ont fui avec leur petite fille de deux ans et demi, une ville assiégée par les djihadistes. Leur regard porte la trace de ce malheur et ils sont persuadés que plus jamais, ils ne pourront retourner dans leur pays. Originaires de Qaraqosh, une des villes irakiennes dont la population était à majorité chrétienne avant la prise du pouvoir de la ville par l’Etat islamique, Dania et Roni ont pris le chemin de l’exode, comme tant d’autres, pour échapper à la mort. Traumatisés à tout jamais, ils évoquent leur long périple à travers le Kurdistan, sur les routes empruntées par les chrétiens irakiens fuyant les massacres, perpétrés par les fanatiques de Daesh occupant leur ville depuis des mois.

Témoin du massacre des Yézidis

Qaisar Yasdeen est un archéologue kurde irakien installé à Vaulx-en-Velin depuis 3 ans avec sa femme et ses filles. Fonctionnaire dans son pays, membre du service d’archéologie établi à Duhok (Nord de l’Irak) il est en France(1) pour passer un doctorat qu’il a entamé à l’université Lyon 2, grâce à une bourse allouée par le gouvernement du Kurdistan irakien. Qaisar appartient à la minorité religieuse Yézidie(2) qui compte 600 000 personnes en Irak et dont l’histoire est marquée par les persécutions. Ce groupe religieux kurdophone est aujourd’hui, lui aussi, la cible de Daesh. Les terroristes, méprisant au plus au point les Yézidis dont les croyances et les cultes ne relèvent pas des religions du livre, ont entrepris un véritable génocide (selon l’ONU), notamment dans la région de Sinjar (Shingal).

Qaisar a été témoin des massacres et de l’exode de sa communauté. “Chaque été je retourne en Irak. En août 2014, j’étais à Sharya quand la cité de Shingal (située à 1h30 de route) est tombée aux mains de Daesh. En trois jours, ma ville qui compte 15 000 habitants a vu arriver des dizaines de milliers de personnes du secteur de Shingal. Des gens en état de choc. Nous nous sommes organisés pour les héberger et les nourrir à Sharya ou dans les environs. D’autres lieux subissaient des attaques, même Sharya était menacée. Les Yézidis qui avaient fui dans les montagnes se sont retrouvés encerclés par Daesh, à l’exception de ceux qui se trouvaient côté Syrie et ont pu s’enfuir avec l’aide des forces armées du PKK. Dans la montagne, des centaines de personnes sont mortes de faim. Parmi les rescapés, des femmes disaient qu’elles avaient fait boire leurs larmes et leur sang à leurs enfants assoiffés”. Les survivants ont décrit les meurtres, les exécutions collectives, les viols, l’enrôlement forcé des enfants... “De mes yeux, j’ai vu des femmes vendues”, ajoute Qaisar, déterminé à dire l’horreur et dénoncer haut et fort les crimes de Daesh. Ce dernier a non seulement le dessein de détruire une communauté d’hommes, mais aussi son héritage culturel. Ainsi, il y a peu, les djihadistes ont entrepris de détruire au buldozer la cité assyrienne de Nimroud, après s’en être pris au musée de Mossoul. “Crime de guerre”, dénonce l’Unesco.

Fabienne Machurat et Jeanne Paillard

(1) La France a un flux migratoire bien plus faible que ses voisins européens selon l'OCDE.
(2)Le yézidisme est l’une des plus anciennes religions monothéistes : proche du Mithraïsme et du Zoroastrisme, où le feu est vénéré comme l’incarnation du soleil.

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